Par
Amram Castellion
Depuis la
campagne de 2016, la relation entre Trump et la Russie a paru être le principal
point faible du président américain.
Pendant la
campagne elle-même, alors qu’il semblait changer d’avis sur plusieurs sujets –
la nature des relations futures avec la Chine, son positionnement dans le
conflit israélo-palestinien – le refus du candidat de critiquer le Président
Poutine et sa volonté déclarée d’améliorer les relations avec la Russie étaient
l’une des rares constantes de ses discours.
Pendant la
campagne, le Comité National Démocrate avait fait l’objet de tentatives de
« hacking » venant de Russie. La victoire à l’arraché de Trump (avec
une minorité du vote populaire, par une série de marges étroites dans
plusieurs Etats) a pu être attribuée par certains commentateurs à la publication,
le 22 juillet 2016, de 22 000 e-mails de la campagne Clinton par Wikileaks.
Ces messages
montraient notamment comment le Comité National, qui aurait dû rester neutre
entre les candidats à la primaire Démocrate, avait systématiquement travaillé à
saper la campagne du sénateur Bernie Sanders afin de soutenir la candidate
Clinton. Ils décrivaient aussi les méthodes peu ragoûtantes de la candidate,
qui monnayait la moindre décision contre des exigences de contribution soit à
sa campagne, soit à la Fondation Clinton (une institution qui, sous couvert
d’actions charitables, fonctionnait en grande partie comme une machine à
emplois et contrats pour les proches de la famille Clinton). Plusieurs experts
estiment que cette fuite venait, elle aussi, de Russie – même si aucune preuve
absolue n’en a été apportée et que Wikileaks a toujours affirmé que sa
source était interne au Parti Démocrate.
Ces indices d’une
intervention russe dans la campagne ont donné lieu, après l’élection du
président, à de nombreuses accusations plus graves de « collusion » –
ce qui exigerait non seulement une intervention russe, mais des contacts pris
entre la campagne Trump et la Russie pour influencer le résultat du scrutin.
Peu après la
prise de fonctions du nouveau président, un dossier qui avait déjà circulé
pendant la campagne, mais qui n’avait pas été repris par la presse faute de
preuves, a fini par être publié par la presse américaine. Ce dossier a été
composé par un ancien espion britannique, Christopher Steele, embauché à cette
fin par la société de renseignements Fusion GPS. Il affirme, après avoir
interrogé des sources travaillant dans le renseignement russe, que le Président
Poutine aurait des informations compromettantes sur le Président Trump :
celui-ci aurait refusé plusieurs opérations immobilières juteuses proposées par
la Russie, mais aurait accepté un flot régulier d’informations russes sur les
Démocrates. Il se serait en outre compromis en se livrant à Moscou à des
pratiques sexuelles peu orthodoxes, dont les Russes auraient conservé la vidéo.
Le dossier peut être trouvé sur Internet à l’adresse suivante : https://www.documentcloud.org/documents/3259984-Trump-Intelligence-Allegations.html
Le 17 mai
dernier, face à ces accusations répétées, l’Attorney General (ministre de la Justice)
adjoint des Etats-Unis, Rod Rosenstein, a nommé Robert Mueller, ancien
directeur du FBI de 2001 à 2013, comme « procureur spécial » chargé
d’enquêter sur « tous liens entre le gouvernement russe et des personnes
associées à la campagne de Donald Trump, ainsi que sur tous les faits qui
pourront apparaître à l’issue de l’investigation ».
Contrairement à
de nombreuses rumeurs qui annonçaient que Trump allait démettre Rosenstein et
Mueller, tous deux sont restés en poste et ont poursuivi leur travail sans être
inquiétés. Mueller a constitué une équipe de juristes extrêmement agressifs. On
y note notamment la présence d’Andrew Weissmann, un procureur qui a le douteux
honneur d’avoir vu annuler par la Cour Suprême plusieurs décisions qui avaient
entraîné des désastres importants : la faillite de la société Arthur
Andersen et l’emprisonnement de quatre directeurs de la banque Merrill Lynch
sur une base juridique sans aucun précédent.
L’équipe Mueller
a donc utilisé des méthodes musclées pour parvenir à trouver, soit des preuves
de collusion, soit d’autres délits à la charge des membres importants de la
campagne Trump. Elle a notamment fait pénétrer par la police à 3 heures du
matin la maison de Paul Manafort, qui fut pendant trois mois (de mai à août
2016) le directeur de campagne de Trump avant d’être renvoyé par le candidat
pour lui avoir caché des liens d’affaires avec des partenaires russes et
pro-russes, tel que l’ancien président ukrainien Yanukovich.
Depuis plus de 5
mois, cependant, l’équipe Mueller n’avait trouvé aucun délit justifiant une
mise en accusation. Les choses pourraient avoir changé hier dimanche 29
octobre, lorsque des fuites concordantes sont parvenues à plusieurs journaux,
annonçant de premières arrestations aujourd’hui.
Paul Manafort vient
d’ailleurs d’être arrêté ce lundi par le FBI pendant que nous rédigions cet
article, de même que son associé Rick Gates, après avoir été inculpé de douze
chefs d’accusation. Ceux-ci comprennent notamment une imputation de "complot
contre les Etats-Unis", et aussi de blanchiment d’argent, de fausses
déclarations et de non-déclarations de comptes détenus à l’étranger.
En revanche, l’acte
d’inculpation long de 31 pages ne fait aucune référence à la campagne
présidentielle de Donald Trump, ni à d’éventuelles collusions entre l’équipe de
Trump et les autorités russes visant à fausser les résultats de l’élection
présidentielle.
D’autres conseillers
ou anciens conseillers du président pourraient être concernés eux aussi. Il
n’est, en revanche, pas évident du tout que ces arrestations concerneraient
effectivement des faits de collusion. Le poste de Robert Mueller lui permet en
effet de poursuivre tous délits découverts à l’occasion de son enquête, même
s’ils ne constituent pas des faits de collusion.
L’accélération
soudaine de l’enquête de Mueller, après de longs mois de surplace, a des causes
immédiates qui pourraient être plus importantes que les trouvailles de son
équipe. Au cours de la dernière semaine, deux révélations essentielles ont
percé :
En premier lieu,
il a été démontré par une enquête de CNBC du 24 octobre dernier1,
que le rapport Steele avait été payé… par la campagne Clinton et le Comité National
Démocrate. En clair : la campagne Clinton a versé de l’argent à des agents
du renseignement russe (via Steele) pour qu’ils affirment que la Russie
fournissait à Trump des informations sur Clinton (ce dont il n’existe aucune
trace) et qu’il existe une vidéo compromettante de Trump (qui aurait été prise
bien avant que personne n’imagine que Trump serait un jour président et qu’à
titre accessoire, personne n’a vue).
Puis, la même
campagne a contacté tous les journalistes de Washington pour leur dire que le
rapport contenait des informations inquiétantes… alors même que ce rapport
n’existe que parce que la campagne Clinton l’a commandé et payé.
Ces nouveaux
éléments montrent indiscutablement une collusion entre une campagne et la
Russie pour influencer le résultat de l’élection 2016. Mais, contrairement à ce
qui était attendu, cette collusion est entièrement le fait des Démocrates et de
la campagne Clinton.
Cette révélation
a été aggravée, au cours de la même semaine, par la décision des deux Chambres
du Congrès de lancer des investigations dans un scandale déjà connu mais qui, à
l’époque Obama, n’avait pas eu de suites judiciaires.
Chèque ou virement ?
Entre 2009 et
2013, alors qu’Hillary Clinton était ministre des Affaires Etrangères des
Etats-Unis (ou « Secrétaire d’Etat »), la société russe Rosatom,
propriété de l’Etat russe, a acquis progressivement la société canadienne
Uranium One, qui détient 20% des réserves américaines d’uranium. Cette
acquisition posait des difficultés évidentes de souveraineté nationale, vu les
usages stratégiques possibles de l’uranium. Elle a cependant été approuvée par
le comité américain chargé de contrôler les investissements étrangers dans les
secteurs stratégiques.
La difficulté
vient de ce que pendant que la prise de contrôle d’Uranium One progressait,
plusieurs hommes d’affaires liés à Rosatom versaient à la Fondation Clinton
plusieurs dizaines de millions de dollars2. L’un d’entre eux,
l’investisseur minier canadien Frank Giustra, finit même par devenir
administrateur de la fondation après lui avoir versé plus de 30 millions de
dollars. La famille Clinton n’était pas oubliée à titre personnel, puisque
l’ancien Président Bill Clinton était, au même moment, payé 500.000 dollars
pour donner une conférence à Moscou. Plus grave encore, la Secrétaire d’Etat,
qui était présente dans ce comité, n’a jamais déclaré ces faits alors qu’elle
en avait légalement l’obligation.
L’apparence de
corruption – et non plus seulement de collusion – est donc très forte dans les
circonstances qui entourent cette affaire. Si elle n’a pas donné lieu à des
actions judiciaires jusqu’à présent, la décision des deux Chambres de lancer
une enquête change fondamentalement les choses. Dans la nouvelle situation
ainsi créée, l’hypothèse d’une arrestation de Mme Clinton elle-même devient
parfaitement envisageable.
Et pour tout
arranger, une des autres autorités impliquées dans la supervision des investissements
étrangers est… le FBI. Or, le FBI, à l’époque de l’acquisition d’Uranium One,
était dirigé par Robert Mueller. Il y a donc tout lieu de penser que l’homme
chargé d’enquêter sur une collusion entre Trump et la Russie était parfaitement
au courant d’une situation de collusion et de corruption entre la Russie et
Hillary Clinton et a, à l’époque, accepté de passer cette situation sous
silence.
Le Président
Trump, pour sa part, ne semble pas personnellement menacé. L’équipe de Robert
Mueller n’a pas même demandé à l’interroger. Il sera évidemment politiquement
affaibli si ses anciens collaborateurs sont inquiétés pour diverses
irrégularités. Mais, sauf surprise de grande ampleur, le cœur de ce qui devait
constituer l’enquête de Mueller – l’idée d’une collusion entre Trump et la
Russie pour influencer le résultat de l’élection – est aussi peu prouvée, après
cinq mois d’enquête, qu’elle l’était il y a un an, lorsque les journalistes
refusaient de se faire l’écho du dossier Steele faute pour ce dossier de
contenir la moindre preuve.
Reste cependant
une question : si Trump n’est coupable d’aucune collusion avec la Russie,
pourquoi ses éloges embarrassants de Poutine pendant la campagne ?
Pourquoi toutes ces fuites venant parfois de la Maison Blanche elle-même et
évoquant un Trump fragilisé par l’affaire russe et irritable, méfiant et
instable quand on l’évoque ?
Ces questions
sont d’autant plus troublantes quand on se souvient, qu’en pratique, le Président
Trump n’a rien fait depuis son élection qui semble particulièrement montrer une
faiblesse envers la Russie. Il a signé sans barguigner, le 3 août dernier, un
train de sanctions économiques contre la Russie voté par le Congrès. En Syrie,
comme Perwer Emmal le montre régulièrement dans ses colonnes, les Etats-Unis
n’ont fait preuve d’aucune faiblesse dans leur concurrence avec l’alliance
russo-iranienne pour le contrôle des voies stratégiques de communication.
La réponse à
cette question touche au cœur de la méthode politique de Trump. Avant d’y répondre,
cependant, il faut se rappeler un aspect intéressant des révélations de cette
semaine sur l’ouverture d’une enquête du Congrès sur l’affaire Uranium
One : malgré l’importance du travail juridique préalable nécessaire à
l’ouverture d’une enquête, ces révélations n’ont été strictement précédées
d’aucune fuite. Lorsque des intérêts essentiels sont en jeu – en l’espèce, la
préparation d’une enquête qui peut conduire à la chute définitive de la maison
Clinton – la Maison Blanche de Trump sait faire preuve d’une discipline
parfaite à l’égard de la presse.
A l’inverse,
depuis l’élection du président, la presse a fait état à plusieurs reprises de
fuites qui n’ont pas été confirmées par les faits. Ce fut le cas, par exemple,
sur l’imminence d’un renvoi de Mueller ou de Rosenstein.
La conclusion
logique, lorsque les fuites ne sont pas confirmées et que les affaires
sérieuses restent cachées au public, est que les prétendues fuites elles-mêmes
sont probablement des manipulations délibérées. Trump – c’est l’un des
principaux secrets de son succès en politique – aime à simuler des faiblesses
pour entraîner ses adversaires à l’attaquer sur un terrain où il sait qu’ils ne
peuvent pas être vainqueurs. Cela lui assure des succès faciles et détourne
l’opposition de consacrer de l’énergie à examiner ses vraies faiblesses.
Il est donc
vraisemblable que tous les comportements et toutes les fuites qui ont fait
croire aux Démocrates qu’ils pourraient faire tomber le président en explorant
ses liens avec la Russie ont été délibérément mis en scène par Trump, qui
savait qu’il n’avait rien à se reprocher et qu’Hillary Clinton, au contraire,
avait fait preuve au moins d’une extrême imprudence sur le sujet.
C’est Trump qui a
suggéré le premier de nommer un « procureur spécial ». C’est lui qui
a maintenu dans leurs fonctions Rosenstein et Mueller qu’il avait le pouvoir de
renvoyer. Tout se passe comme s’il avait voulu faire croire aux Démocrates à
l’imminence de sa propre chute sur la question russe, tout en faisant travailler
Rosenstein dans la plus grande discrétion pour préparer celle de son ancienne
rivale. Et s’il faut, pour cela, accepter que Mueller envoie en prison certains
collaborateurs du président pour des faits secondaires – eh bien, ce sont les
risques du métier.
Notes :
1https://www.cnbc.com/2017/10/24/trump-russia-dossier-research-got-funds-from-clinton-campaign-and-the-dnc.html?%24DEVICE%24=amp
2https://www.nytimes.com/2015/04/24/us/cash-flowed-to-clinton-foundation-as-russians-pressed-for-control-of-uranium-company.html
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