Par Ilan Tsadik
Avec Sami El Soudi
Donald Trump, sa charmante épouse – quelle classe,
quelle indépendance et quel maintien ! - ainsi que les quelques mille personnes
qui les accompagnaient, journalistes, agents de sécurité, techniciens, diplomates,
pilotes, médecins et conseillers ont maintenant quitté Israël pour Rome depuis
près de vingt-quatre heures. Ils ont embarqué dans trois Jumbo-jets
présidentiels, suivis de la doublure du Air Force One, le 747 du président, qui
suit tous ses déplacements aériens, au cas où le premier appareil tomberait en
panne. C’est comme un petit pays, ou un immense cirque itinérant, qui se
déplace d’étape en étape du périple du pensionnaire de la Maison Blanche.
Encore sont-ils partout devancés de plusieurs jours par
des gros porteurs Galaxy, qui déversent sur place les préposés à la sécurité
présidentielle, des contrôleurs aériens, qui sont présents dans toutes les
tours des aéroports visités, et des tonnes de matériel, y compris le Marine
One, l’hélico dans lequel le président effectue tous ses vols, aux USA comme à
l’étranger. De même que cinq autres gros "choppers", dans lesquels
prennent place ses suiveurs les plus importants. Les autres parcourant les trajets
en voiture.
Cela donne au spectateur ainsi qu’aux hôtes officiels
et aux dignitaires des pays visités une impression de puissance, d’abondance et
d’organisation qui ne manque jamais de frapper les esprits.
La visite en Israël a été un franc succès, tout le monde
est content : la droite israélienne et les Edennistes, parce qu’à aucun moment
Trump n’a évoqué d’Etat palestinien, et n’a pas semblé appliquer une pression
insupportable sur Binyamin Netanyahu. Et tous les autres, parce qu’il a été
très clair quant à ses objectifs dans notre région, et parce qu’avant même son
arrivée, il avait exigé et obtenu diverses mesures d’ouverture en direction des
Palestiniens, ce qui avait, deux jours avant son arrivée, occasionné de vives
tensions entre les faucons et les vraies mouettes (il n’y a pas de colombes
dans ce cabinet) du gouvernement israélien.
Ca a l’air d’aller…
Durant l’interminable cérémonie d’accueil à l’aéroport
Ben Gourion près de Tel-Aviv, où le couple présidentiel eut à serrer des
dizaines de mains, Naftali Bennett, le ministre de l’Education et de la
Diaspora, chef du très à droite et très edenniste parti du Foyer juif, a
profité de se trouver nez-à-nez avec le président U.S pour lui parler
politique. Craignant, à juste de titre, de ne pas avoir l’occasion de le faire
plus tard dans le cours de la visite, Bennett a brièvement entretenu celui qui
venait de descendre d’avion de la nécessité de transférer son ambassade de
Tel-Aviv à Jérusalem, et de celle de ne pas participer à la création d’un Etat
palestinien et de ne pas diviser notre capitale.
Donald Trump l’a écouté poliment mais sans lui prêter
une grande attention. Au contraire de Bougie Herzog, le leader travailliste de
l’opposition, avec lequel le président a échangé plusieurs minutes durant. J’étais
trop loin pour entendre ce qu’ils se sont dits, mais un voisin d’Herzog dans la
file des serreurs de mains a eu l’obligeance de me rapporter leurs propos. L’homme
le plus puissant de la planète à la crinière blonde a dit à l’Israélien qu’il
allait se passer de grandes choses et que Netanyahu allait avoir besoin de son
soutien ; le travailliste a assuré M. Trump qu’il pouvait compter sur lui
et que l’opposition soutiendrait le gouvernement s’il décidait d’avancer en
direction de la paix.
Ce fut presque l’essentiel des propos politiques pendant
toute cette visite. Le Président, qui venait d’effectuer le premier vol officiel direct
d’Arabie Saoudite en Israël, gardera jalousement tout le reste de ses
discussions pour le seul Binyamin Netanyahu et entre quatre yeux. Tout ce qu’il
y avait d’important s’est déroulé lundi soir dans un lieu tenu secret – le dîner
prévu a été annulé -, les deux couples se retrouvant loin des milliers d’yeux
indiscrets des caméras.
Ce mercredi matin, aucun des ministres israéliens n’avait
été mis au parfum du contenu de ces entretiens. Certains, comme le ministre de
la Défense, Avigdor Lieberman, et celui des Infrastructures Nationales, de l’Eau
et de l’Energie, responsable de la Commission Israélienne de l’Energie Atomique
et membre du cabinet sécuritaire restreint, Youval Steinitz, s’inquiétaient
ouvertement des répercussions de la méga-vente d’armement à l’Arabie Saoudite.
Celle-ci va simplement doubler son potentiel militaire, et personne ne sait ce
qu’il adviendra de ce régime fragile dans cinq ou dix ans. Ces ministres se
demandent comment sera appliqué l’engagement américain à maintenir la supériorité
conventionnelle et technologique de l’Etat hébreu sur tous ses voisins réunis,
et seul, pour le moment, Binyamin Netanyahu connaît la réponse à leur
préoccupation.
Sinon, les déclarations des deux leaders n’ont été
presque que symboliques et pré-écrites durant les deux jours qu’a duré la
visite. Trump est allé s’entretenir avec le Président de l’Etat, Ruvi Rivlin,
comme le veut le protocole, quoiqu’en Israël, le président n’a aucun pouvoir
décisionnel, à l’instar de la reine d’Angleterre. Il est ensuite allé se
recueillir devant le Mur des Lamentations, où sa fille, Ivanka, convertie au
judaïsme orthodoxe, a éclaté en sanglots sous le coup de l’émotion. Il s’est
rendu à l’église du Saint Sépulcre, ainsi qu’au musée du génocide nazi de Yad Vashém
(la main et le nom).
Entre-temps, il avait fait le déplacement de Bethléem
pour y rencontrer le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas. La
ville était pavoisée pour l’occasion d’immenses affiches qui souhaitaient la
bienvenue "de la ville de la paix à un homme de paix". L’entretient a
été aussi discret que du côté israélien. Sami El Soudi, qui suivait la visite pour
la Ména, a rapporté que tout s’était passé comme prévu, sauf que Trump, à la
fin du rendez-vous, n’a pu s’empêcher de lâcher quelque chose du genre : "Ce
n’est pas dans cette atmosphère de violence, de terrorisme et d’antagonisme qu’il
est possible de faire la paix".
Ce qui n’a pas empêché le président U.S, quelques
heures plus tard, à l’occasion du discours principal de son séjour, au Musée d’Israël
à Jérusalem, d’affirmer qu’aussi bien Binyamin Netanyahu que Mahmoud Abbas étaient
prêts à faire la paix et désireux d’y parvenir. Ce que n’a pas démenti le
Premier ministre israélien, tout en relevant que si l’attentat de Manchester
avait été perpétré contre des Israéliens par des terroristes palestiniens, les
familles des terroristes toucheraient une rente à vie de la part de l’Autorité
Palestinienne, ce qui est parfaitement exact, cela, c’est moi qui l’ajoute. C’est
probablement ce genre de constatation qui avait engendré la remarque de Trump à
Bethléem.
Le discours du musée fut surtout teinté du sceau de l’émotion
et de l’amitié retrouvée, après deux mandats de relations tendues avec Barack
Obama. La foule a ovationné Donald Trump debout, après qu’il ait affirmé :
"C’en est fini des appels des dirigeants iraniens à anéantir Israël ;
maintenant, Donald J. Trump est là !". Entendant ces paroles,
Netanyahu a levé le poing en signe d’adhésion et, sous un tonnerre d’applaudissements,
le président yankee a répondu : "Moi aussi je vous aime !".
Pour ne rien laisser dans le flou à ce propos, il a encore précisé que jamais
il ne laisserait l’Iran parvenir à la bombe atomique. Après sa visite à Riyad,
où il a également rencontré l’essentiel des dirigeants arabes, on le croit sur
ce sujet, qui constitue une victoire à retardement pour Netanyahu, qui avait livré
bataille aux Etats-Unis contre l’accord sur le nucléaire iranien, adoptant une
position frontale face à Barack Obama qui fut son plus fervent promoteur.
Désormais, cet accord a du plomb dans l’aile, de même
que le projet des ayatollahs d’établir une ceinture chiite reliant Beyrouth,
Damas, Bagdad et Téhéran. La détermination américaine est d’autant plus
crédible que, la semaine dernière, l’Aviation U.S a détruit un convoi
progouvernemental syrien, principalement constitué de soldats iraniens, qui
tentaient de s’emparer du poste frontière d’al Tanf, avec l’Irak, près des
trois frontières – Irak – Jordanie – Syrie -. De nombreux militaires iraniens
et pro-régime ont trouvé la mort lors de ce raid. Le premier visant al Assad et
ses alliés depuis l’attaque au missile contre la base aérienne de Sharyat, d’où
était partie l’attaque au gaz contre des hôpitaux tenus par la rébellion.
Le traitement du problème posé par les Khomeynistes
paraît non seulement en bonne voie d’assainissement, mais il constitue
également le ciment de l’alliance officieuse entre l’Etat hébreu et ses voisins
sunnites. Une alliance que Donald Trump s’efforce désormais d’institutionnaliser.
Au Musée d’Israël, il a fait l’éloge de la perspicacité du Roi Salmane d’Arabie
et de sa volonté de parvenir à ce but. Pour les sunnites et pour Israël, c’est
leur préoccupation stratégique numéro un qui est enfin prise en compte par la
première puissance militaire du globe.
Le reste de l’intervention du président étasunien fut
consacré à la nécessité d’utiliser l’occasion du rapprochement avec les
sunnites afin de régler une fois pour toutes le problème palestinien.
Et c’est tout ! En plus, certes, de mots forts
employés pour mettre en valeur le caractère unique et indestructible des
relations liant Israël aux Etats-Unis, et de l’affirmation par le président du
caractère juif d’Israël et de Jérusalem. Ce qui, intervenant après les votes et
les abstentions à l’UNESCO allant dans le sens inverse, a fait le plus grand
bien aux oreilles israéliennes.
Ca c’est pour les oreilles, quant aux mauvaises
langues, on les entendait murmurer que le but de ce voyage au Moyen Orient
était uniquement de signer les énormes contrats d’armement – 130 milliards de
dollars et ce n’est qu’un début – à Riyad, et que le reste n’est que roupie de
sansonnet. Les mêmes mauvaises langues évoquent des vacances touristiques en
Israël, soulignant que ce séjour de 48 heures n’a été ponctué d’aucun projet
tangible.
Notre avis et celui de nombre d’observateurs israéliens
diverge. Tout est dans le non-dit, ou plutôt, le non-déclaré publiquement. D’abord,
parce qu’après cette visite, les liens entre Israël et ses voisins, énumérés
par mon père dans ces colonnes la semaine dernière, ne peuvent qu’aller s’amplifiant
après la bénédiction appuyée du pensionnaire de la Maison Blanche.
Ensuite, parce que si le contenu des entretiens entre
Donald et Bibi n’a pas été divulgué, c’est pour retarder une crise
gouvernementale en Israël, la droite de la coalition n’étant pas prête ne
serait-ce qu’à entendre parler de négociations avec Abbas. Les choses seront rendues
publiques lorsqu’il y aura du concret, du défendable.
Jusqu’alors, d’autres mesures vont être prises par le
gouvernement hébreu, dans les sens d’un rapprochement prudent avec Abbas. Ce
qui ne manquera pas déjà de faire sursauter Bennett et ses amis.
Dans le même temps, ce sont les Saoudiens, les
Egyptiens et les Jordaniens qui seront chargés par Trump de continuer d’assouplir
les positions des Palestiniens afin de les mettre en phase avec le projet
américano-saoudien. Celui-ci comprendra la création d’un Etat palestinien
démilitarisé, avec un droit d’intervention israélien qui durera jusqu’à la
disparition totale du terrorisme, avec Tsahal qui gardera le contrôle du
Jourdain, et des ajustements de frontière permettant d’inclure en Israël les trois
blocs d’implantations principaux. Plus question de rendre le Golan aux Syriens,
ni d’accueillir les descendants des réfugiés palestiniens de 48, à part en
petit nombre, pour la réunion des familles, dans un geste de bonne volonté.
On se demandait si Netanyahu accepterait ces
propositions, et c’est un scoop, globalement, pour peu que les choses aillent
strictement dans ce sens et que Washington renforce les capacités militaires
israéliennes et ses projets technologiques, le Premier ministre est d’accord.
Et que personne ne nous demande nos sources, c’est du super-confidentiel.
Les négociations vont se poursuivre dans la plus
grande discrétion mais à un rythme soutenu. Pour parvenir à un accord, il faut,
et c’est Sami El Soudi le premier qui en avait parlé il y a plusieurs années,
réduire les ambitions des barons de l’Autorité Palestinienne, en leur enlevant
l’idée qu’ils pourront négocier sur pied d’égalité avec l’Etat d’Israël, ce que
certains dirigeants occidentaux leur ont mis en tête sans leur rendre service.
L’incursion de Trump à Bethléem s’inscrivait parfaitement
dans ce dessein : elle fut courte et limitée dans le temps et la portée. Avec
la fanfare de Grospierrot-sur-Paulette qui interprète probablement mieux l’hymne
américain que celle d’Abbas.
C’est avec Salmane et Sissi que l’on va discuter des
détails, pas à Bethléem. Et Abbas ne se mettra pas au milieu du chemin sur
lequel passera le convoi, il l’a déjà compris et cela ne le dérange pas. Il lui
est en effet plus facile d’attribuer les concessions aux deux ou trois grands
frères arabes qu’à ses propres décisions. La populace, la tête gonflée par les
promesses du Hamas, du Qatar, des Turcs et de certains Premiers ministres
européens aurait accusé Abbas d’être de mèche avec les Israéliens ; une
accusation qu’ils peuvent difficilement adresser au roi d’Arabie Saoudite.
A la fin, mais uniquement lorsque 99% des sujets
auront été solutionnés, comme il est de mise dans une démarche diplomatique
bien sentie, on organisera une conférence internationale, à laquelle tout le
monde sera invité, pour "discuter" d’une paix globale entre Israël et
le monde arabe.
La proposition sera soumise au vote des populations
concernées, et l’on fera en sorte qu’elles n’aient pas de raison de la rejeter,
à grands coups de pub et de mobilisation des décideurs.
C’est en tout cas le scénario qu’ont écrit ensemble
le roi d’Arabie Saoudite, le Maréchal Sissi, Binyamin Netanyahu et le Président
Trump. En principe, cela tient l’eau, et cela apporterait un changement politique
fondamental aux niveaux régional et mondial. Maaais… nous sommes au Moyen
Orient, et peu de choses s’y déroulent comme elles ont été initialement prévues.
|