Comment on fait de la diplomatie en France (012607/18)
jeudi, 26 juillet 2018
Par
Amram Castellion
Dans la nuit de
samedi à dimanche dernier, Israël a finalisé une opération humanitaire en plein
territoire syrien, dans les provinces de Deraa et Quneitra – actuellement sous
le contrôle partiel de groupes rebelles sunnites, mais en voie de reconquête
par les troupes gouvernementales d'Assad avec le soutien du corps
expéditionnaire russe. L'objectif de l'opération était d'évacuer un groupe de
422 Syriens, composé de "Casques Blancs" et de leurs familles, qui se
trouvaient encerclés par l'avancée des gouvernementaux et étaient considérés en
danger vital immédiat.
Les Casques
Blancs – officiellement "Défense Civile Syrienne" – sont une
organisation de premier secours en zone de guerre et de protection civile,
formée en 2013 à l'initiative de l'officier britannique James Le Mesurier. L'essentiel
de leur financement est assuré par les puissances européennes depuis qu'ils ont
perdu, au printemps dernier, le soutien des Etats-Unis. La raison n'en a pas
été rendue publique, mais elle pourrait être due à une certaine porosité entre
le recrutement actuel des Casques Blancs et celui, naguère, de forces
combattantes sunnites en Syrie.
Leur doctrine
d'intervention les oblige à intervenir indistinctement pour toutes les
victimes, mais ils interviennent presque uniquement dans les zones tenues par
la rébellion sunnite, avec laquelle ils ont inévitablement des liens
privilégiés. De ce fait, ils font l'objet d'une guerre de propagande intense
entre, d'une part la Russie et le régime d'Assad – qui les ont accusés de
"terrorisme" et de divers crimes de guerre, sans qu'aucune preuve ait
été apportée en-dehors du fait que certains Casques Blancs étaient auparavant
combattants – et, d'autre part, les bailleurs de fonds occidentaux et les pays
arabes, qui mettent en valeur leur activité de secours aux victimes de guerre et
ont utilisé cette activité pour dénoncer les opérations militaires
russo-alaouites.
L’opération
d’exfiltration menée dans la nuit de samedi à dimanche a permis de faire passer
une partie des Casques Blancs et de leurs familles de Syrie dans le Golan
israélien, puis, de là en Jordanie. 422 personnes seulement ont pu être sauvées
sur environ 800, la situation des combats ayant empêché d'évacuer les autres. Le
Premier ministre Netanyahu a précisé que l'opération avait été préparée avec les
Etats-Unis, le Canada "et d'autres" [la Russie. Ndlr.]. Il est vraisemblable
que les pays bailleurs de fonds – France, Allemagne, Royaume-Uni – ont été mis
dans le secret, même s'ils n'ont pas contribué à l'opération elle-même.
Cette opération
humanitaire de sauvetage des sauveteurs a été, naturellement, dénoncée par le
régime d'Assad. Tout aussi naturellement, elle a été célébrée par la Jordanie,
qui a accueilli les Casques Blancs avant qu'ils ne soient transférés vers des
pays donateurs, et par les puissances occidentales. Le Foreign Secretary (ministre
britannique des Affaires Etrangères), Jeremy Hunt, a ainsi salué sur Twitter la
contribution d'Israël et de la Jordanie au sauvetage, tout en indiquant que
l'opération a été menée "à notre demande" (Royaume-Uni ou, plus
probablement, puissances donatrices dans leur ensemble). Des messages de
remerciements similaires sont venus des gouvernements américain, canadien et
allemand.
Le message du Foreign Secretary remerciant
Israël
Au milieu de
cette activité diplomatique, un seul des pays donateurs a envoyé un communiqué
différent des autres. Il s'agit de la France. Voici, dans sa version intégrale,
le communiqué du Quai d'Orsay sur le sauvetage des Casques Blancs, publié dimanche
(22 juillet) dernier :
"Grâce à
une forte mobilisation internationale, un groupe de Casques blancs et leurs
familles a pu quitter aujourd’hui la Syrie où leur sécurité était gravement
menacée. La France s’est activement associée aux démarches conduites avec
plusieurs partenaires pour permettre le succès de cette opération.
Ce
groupe de Casques blancs et leurs proches se trouvent actuellement en Jordanie,
où ils sont pris en charge par le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations
unies. Les démarches nécessaires à leur réinstallation dans des pays tiers sont
en cours. La France est prête à contribuer à l’accompagnement et à la
protection de ces personnes et de leurs familles.
La
France a apporté un soutien constant à l’organisation des Casques blancs,
engagés volontaires au service de la population syrienne dans les pires
circonstances. La France rend hommage au courage et au dévouement dont ils ont
toujours fait preuve et que beaucoup d’entre eux ont payé de leur vie."
La première
remarque que suscite ce communiqué est qu'il y semble tout de même être beaucoup
question de la France pour une opération où elle n'a joué strictement aucun
rôle opérationnel. "La France s'est activement associée aux démarches
conduites avec plusieurs partenaires" signifie, en clair : "comme
pays donateur, nous avons été mis au courant à l'avance et avons donné notre
accord". La mention suivante de la France signifie qu'elle accepte
d'accueillir quelques familles sur son territoire. Les deux dernières sont des
occasions de répéter "la France, la France", en sautant comme un
cabri au moment de rendre hommage au travail humanitaire des Casques Blancs.
Si la France est
citée quatre fois dans le communiqué – et la Jordanie, premier pays d'accueil,
une fois – le Quai d'Orsay semble avoir fait le fâcheux oubli du pays qui a
planifié, organisé et réalisé l'opération et y a risqué la vie de ses propres
soldats, sans y avoir le moindre intérêt national. On est "distrait",
au Quai.
Que révèle cette
incapacité des rédacteurs du Quai d'Orsay à remercier ou même à prononcer le
nom d'Israël ?
Ce ne peut pas
être une question de principe : la France reconnaît l'Etat d'Israël depuis sa
naissance et les deux pays entretiennent des relations diplomatiques normales. Il
n'y aurait donc aucun obstacle à le citer et à le remercier dans un communiqué
officiel.
Ce ne peut pas
non plus être une volonté de dissimuler la vérité. Le monde entier, au moment
où ce communiqué a été rédigé, savait déjà qu'Israël avait mené l'opération de
sauvetage des Casques Blancs. Les communiqués de ce type n'apprennent rien à
personne. Ils ne sont que l'occasion d'enregistrer une position sur les
affaires en cours, l'expression d'un code de bonnes manières internationales.
Il ne reste donc
qu'une seule explication au comportement français. Les diplomates chargés de
rédiger le communiqué, et leur hiérarchie qui l'a approuvé, ont délibérément
voulu offenser Israël en excluant de la liste des remerciements le seul Etat
qui a effectivement agi pour sauver les Casques Blancs, et qui a risqué pour
cela la vie de ses soldats.
Cette offense
délibérée n'est même pas un calcul politique, un clin d'œil aux alliés
musulmans de la France. Croit-on que le Royaume-Uni ou l'Allemagne n'aient pas
des relations approfondies avec les pays musulmans ? Croit-on vraiment qu'ils
aient détérioré ces relations en remerciant Israël pour avoir sauvé des
musulmans en coordination avec la Jordanie ?
Non : la raison
de l'incapacité de ces diplomates français à prononcer le nom de l'Etat-nation
du peuple juif n'est ni politique, ni diplomatique. Elle est sociologique et
idéologique. Beaucoup de diplomates français – pas tous, il faut le reconnaître
; mais, il faut le reconnaître aussi, presque tous ceux qui consacrent leur
carrière aux affaires du Moyen-Orient – ne peuvent tout simplement pas
surmonter l'idée que les Juifs ne devraient appartenir ni à la bonne société
française, dont ils se réclament, ni au concert des nations ayant droit à leur
Etat.
Ce préjugé
antisémite, profondément ancré dans la culture majoritaire du Quai d'Orsay, a
ses origines au moins autant dans l'antisémitisme traditionnel de la
bourgeoisie catholique que dans les plans politiques plus ou moins foireux
d'une "politique arabe". Le problème n'est pas principalement que le
Quai soit pro-arabe : il ne l'est pas tant que cela. On y entend aussi, et
souvent, beaucoup de remarques très méprisantes sur les Arabes. Le problème est
qu'une partie importante du Quai est restée une bulle temporelle sociologique,
à l'écart des évolutions de la société française, que beaucoup de diplomates
connaissent mal. Beaucoup de nos diplomates, au fond, se croient encore dans un
salon de la bonne société en 1815. Ils en ont d'ailleurs souvent l'esprit,
l'humour et la finesse. Mais enfin, dans ces salons, les Juifs n'étaient pas
les bienvenus.
Par conséquent,
lorsque les Juifs réussissent une opération militaire remarquable, en plein
territoire ennemi, dans un but purement altruiste et au profit d'alliés de la
France, on ne va pas s'humilier à les remercier. Ils ont bien travaillé, sans
doute. Mais ils restent des Juifs. On ne va pas donner l'impression de se
courber devant des inférieurs.
Il ne s'agit pas
de condamner la France dans sa totalité, ni l'administration française en
général. D'autres services – en particulier la police et l'armée – se sont
parfaitement adaptés à l'évolution du monde, coopèrent volontiers avec Israël
et n'hésitent pas à en faire l'éloge.
Il ne s'agit même
pas de condamner les diplomates français dans leur totalité. Dans d'autres
services du Quai – diplomatie économique, affaires stratégiques et
non-prolifération – la perception d'Israël est plutôt positive ou, du moins,
largement libre de préjugés.
Mais, jusqu'à
aujourd'hui, la direction de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient (que les
autres diplomates appellent entre eux "la rue arabe") continue
à entretenir une culture politique et sociologique d'un autre âge, où Israël
est vu comme un malencontreux accident de l'histoire, la récompense excessive
d'un peuple inférieur et une source de troubles sans fin dans un monde que la "sagesse
française" pourrait, sans cela, contribuer à ordonner de manière
harmonieuse.
Cette vision est
en décalage absolu avec la réalité : celle d'un Israël en excellente position
stratégique, dont plus rien ne menace la survie dans l'avenir prévisible et qui
a sur la France elle-même une avance technologique énorme dans les industries de
défense et un réseau bien plus fourni de soutiens stratégiques parmi les pays
arabes.
Aussi longtemps que cette vision n'aura pas été
éradiquée, la France n'aura strictement rien à apporter au Moyen-Orient du
point de vue diplomatique.On ne peut pas être un acteur dans une région
qu'on ne comprend pas et dont on méprise l'un des principaux acteurs.Mais
l'éradiquer [la vision !] exigerait, de la part d'un grand ministre et
avec l'appui explicite de l'Elysée, un effort important de ressources humaines
– on ne peut pas faire une politique raisonnable avec des antisémites formant
d'autres antisémites – et de redéfinition stratégique.Cette réforme
devra donc attendre la fin du principat d'Emmanuel Macron et de son bagagiste
au ministère des Affaires Etrangères, Jean-Yves Le Drian.
"Monsieur Sami El Soudi, par P Vallois", Je
consulte ce site depuis longtemps et je vois qu'il n'est pas trop
vivace. Cela n'a guère d'importance. Les articles suffisent.
Sauf,
à mes yeux, sur un point. C'est qu'il semble qu'aucun lecteur n'ait
pris soin de vous marquer toute la considération, la haute estime, que
dis-je, le bonheur que l'on éprouve à lire vos textes.
Vous êtes, je crois, la personne au monde qui fait le mieux comprendre ce qui se passe au Proche et Moyen-Orient.
Vos papiers depuis 2003 sont incomparables. Ils méritent d'être réunis et publiés. A tout le moins.
Merci infiniment."
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