Erdogan annonce le début de l’agression turque contre Afrin (info # 012001/18)
samedi, 20 janvier 2018
Par
Perwer Emmal
Métula et
Afrin 16h30, samedi, 15h30 à Paris
Lors d’un bref discours
télévisé ce samedi, Recep Tayyip Erdogan a annoncé que son armée avait "lancé
de facto sur le terrain une offensive terrestre contre l’enclave d’Afrin tenue
par une milice kurde dans le nord de la Syrie". Erdogan s’exprimait depuis
la province anatolienne de Kütahya.
Il a promis qu’ "ensuite,
ce sera le tour de Manbij", dans la partie occidentale du Rojava kurde, et
qu’ "après, pas à pas, nous nettoierons notre pays de cette terreur
répugnante qui tente d’assiéger notre pays, et ce, jusqu’à la frontière
irakienne".
Cette déclaration de
guerre a été accompagnée d’un briefing du chef d’état-major turc, selon lequel
l’Armée turque a répliqué à des tirs, hier et aujourd’hui, en provenance d’Afrin,
de la part de l’organisation terroriste PYD/PKK.
Le PYD est le Parti de l’Union
Démocratique, qui a la charge civile du canton d’Afrin. La force armée kurde
qui défend ce territoire est les YPG, les Unités de Protection du Peuple.
Il n’existe aucun lien
organique entre le PYD et le PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan, une
organisation strictement turque.
Le ministre turc de la
Défense, Nurettin Canikli, avait déclaré, vendredi matin sur la chaîne de
télévision Haber, "que le niveau de menace contre la Turquie
augmente de jour en jour", sans que cette affirmation soit intelligible.
Les YPG n’ont jamais
attaqué aucun objectif en Turquie et ne se sont jamais livrées à aucun acte
terroriste. Elles constituent l’élément prépondérant des FDS, les Forces
Démocratiques Syriennes, les seuls alliés des Américains et des Européens en
Syrie. Ce sont les FDS qui ont repoussé au sol l’Etat Islamique au-delà de l’Euphrate.
Les YPG, contrairement aux
affirmations du chef d’état-major d’Erdogan, ne se sont livrées à aucun tir en
direction des forces turques, hormis des tirs de riposte limités faisant suite
à des bombardements de l’artillerie ottomane.
Hier soir, une avocate d’Afrin
a été blessée par des obus tirés à partir du territoire turc dans le nord du
canton.
Selon l’un de mes
interlocuteurs à Afrin que je suis parvenu à joindre à 11 heures ce samedi
matin, les bombardements turcs sont les plus intenses depuis qu’ils ont
commencé voici une semaine.
A l’issue d’une
escarmouche provoquée par l’Armée turque, deux mercenaires islamistes ont été
tués vendredi lors d’un bref affrontement avec les Peshmerga.
Je me trouve à Arima [voir
carte], dans le saillant occidental tenu par les YPG-FDS. Je suis dans l’incapacité
de me rendre à Afrin, pratiquement encerclée et coupée du monde. Jeudi, les
Turcs ont fermé les deux derniers points de passage menant à l’enclave.
A Arima et dans tout le
secteur, on assiste à l’arrivée de renforts des FDS retirés des effectifs de la
région de Deïr Ez Zor où ils combattaient l’Etat Islamique au côté des
Américains et des Européens. A en croire
des rumeurs persistantes, les Peshmerga auraient reçu des missiles antiaériens
des mains des Américains, ainsi que des engins antichars.
On assiste également à un
renforcement des effectifs de l’Armée turque et de ses mercenaires islamistes ainsi
qu’à des travaux de retranchement face aux positions des FDS dans le secteur du
saillant occidental autour de Manbij.
Des préparatifs du même
ordre sont observés dans la région de Jarabulus déjà occupée par les Turcs, de
même que face à Kobané, à l’est de l’Euphrate.
Le porte-parole des
Nations Unies, M. Stephane Dujarric, est enfin intervenu vendredi, appelant "les
parties concernées à éviter de nouvelles escalades ainsi que les actes de
nature à approfondir les souffrances du peuple syrien".
"Une fois que les
violences ont commencé", a ajouté le porte-parole, "il nous est
extrêmement difficile d’intervenir".
M. Dujarric a affirmé que le
Secrétaire général de l’ONU [M. Antonio Guterres] faisait route vers le Conseil
de Sécurité et qu’il se dit "préoccupé par chaque situation dans laquelle
la vie de civils est menacée".
Les responsables
politiques et militaires du Rojava se sont montrés perplexes face à ces
déclarations onusiennes, soulignant que c’est Ankara qui a unilatéralement
déclaré la guerre aux Kurdes de Syrie, et que l’armée d’Erdogan était en train
de violer la souveraineté d’un territoire qui ne lui appartient pas. Ils ont
également relevé que les FDS n’avaient commis aucune provocation ni émis aucune
menace à l’encontre de leur voisin du Nord, et donc que les appels au calme ne
les concernent pas. Ils dénoncent une tentative de placer sur un pied d’égalité
les agresseurs et les agressés.
On ignore quelle sera la
position des Etats-Unis en cas de poursuite de l’agression ottomane sur Afrin
et au cas où elle s’étendrait au Rojava occidental où sont cantonnés 2 000
militaires U.S, un certain nombre d’entre eux à Manbij.
En particulier, l’état-major
des FDS se demande si Washington laissera l’aviation ennemie intervenir
impunément contre ses positions ainsi que sur les zones civiles.
La porte-parole du
Département d’Etat américain, Heather Nauert, a fait savoir vendredi que "les
Etats-Unis veulent que la Turquie s’abstienne de toute violence dans la ville d’Afrin,
au Nord-Ouest [de la Syrie]."
D’importantes
manifestations de soutien à Afrin se déroulent dans tout le Rojava, la plus
importante s’étant tenue à Kobané. Aucun message officiel de soutien de
responsables politiques européens n’est parvenu aux Kurdes.
En dépit du déséquilibre
militaire flagrant sur le terrain, les Peshmerga se déclarent prêts au combat
et à faire payer chèrement aux Turcs leur agression. "Notre unique
objectif sensé", m’a déclaré ce samedi matin un haut responsable militaire
kurde, "consiste à infliger de telles pertes à nos adversaires qu’il
seront amenés à reconsidérer l’utilité de leur aventure". Le même officier
ajoutant : "Si nous tenons le coup suffisamment longtemps, cela
sensibilisera les opinions publiques des pays libres, et cela poussera leurs
dirigeants à faire pression sur Erdogan et à nous venir en aide".
On apprend également que
M. Poutine réclamerait d’Erdogan qu’il retarde son offensive généralisée. Selon
Ankara, les forces déployées par la Russie à Afrin auraient été retirées
récemment, ce qu’a nié un responsable de Moscou sous le couvert de l’anonymat.
L’on sait qu’Ankara a
demandé au Kremlin qu’il autorise ses avions à emprunter l’espace aérien syrien,
mais on ignore la réponse de Poutine. Ce que l’on sait en revanche est que le vice-ministre
syrien à la Défense, Fayçal Meqdad, a affirmé que son pays "s’opposerait
par la force à toute agression ou opération militaire contre son territoire de
la part de la Turquie en ripostant de manière appropriée". Meqdad a
déclaré que "les défenses antiaériennes syriennes se tenaient prêtes à
intervenir face à ce genre d’agressions".
L’on sait qu’un système de
défense antiaérien de type S-400 a été livré par la Russie au régime de Bashar
al Assad, et qu’il pourrait avoir la capacité d’intervenir contre des appareils
turcs survolant le canton d’Afrin. Le ministre de la Défense ottoman, Nurettin
Canikli, a toutefois tourné ces contre-menaces en dérision, précisant que "l’essentiel
de la capacité militaire active du régime syrien était assumé par des pays
tiers". Il a en outre prophétisé que la campagne militaire contre Afrin ne
durerait pas longtemps.