La France se prépare à des scènes de guerre (021603/20)
lundi, 16 mars 2020
Par Sébastien Castellion
En raison de la gravité du
contenu de cet article, la rédaction a décidé de le rendre gratuitement accessible
à l’ensemble du public.
Samedi 14 mars, le
Premier ministre Edouard Philippe annonçait, dès minuit, la fermeture des
commerces "non essentiels" – en clair, tous les commerces, y compris
les restaurants, à la seule exception des magasins d'alimentation et services
de santé.
Cette annonce était
la conséquence inévitable des derniers chiffres de la pandémie du CoVid-19
pour la France. Après avoir connu une courte décélération
du 7 au 10 mars, la contamination est repartie à un rythme de type exponentiel
: chaque jour, le nombre de nouveaux cas recensés est supérieur à celui de la
veille (900 nouveaux cas recensés le 15 mars, contre 203 le 10 mars).
Le nombre de victimes
augmente, lui aussi, de manière exponentielle : 3 morts le 10 mars, 12 le 14 et
– la nouvelle tombe alors même que j'écris ces lignes – 36 le 15 mars.
Au total, 5 423 cas
ont été établis dans le pays et 127 personnes sont mortes. Et cela ne fait que
commencer. Lorsqu'une épidémie évolue selon une
courbe exponentielle, le renversement de tendance ne peut apparaître qu'une
fois que les mesures prises auront eu leur effet – c'est-à-dire après la
période de latence moyenne entre la contamination et l'identification clinique
du mal, soit environ 9 jours. La courbe des morts, elle, ne peut s'infléchir
qu'après l'expiration du délai moyen entre la contamination et le décès du
malade, soit 13,5 jours.
La croissance de la
maladie est actuellement si rapide que personne ne peut croire que les mesures
annoncées samedi par le Premier ministre
suffiront pour limiter les dommages. D'ici demain mardi au plus tard, d'autres dispositionssuivront
presque certainement : confinement général de la population, autorisée
seulement à sortir pour acheter de la nourriture et aller au travail dans les
secteurs qui resteront en opération ; arrêt ou réduction à l'extrême des
transports en commun ; possible couvre-feu pour toute la population, obligée de
rester chez elle après une heure qui reste à fixer ; et intervention de l'armée
pour contrôler le respect de ces mesures.
Je précise que je
n'ai aucune source au sein du pouvoir qui m'ait confirmé tout cela. J'ai
consulté, en revanche, un épidémiologiste, qui sait
comment fonctionnent les courbes de contamination et ce qu'il faut faire pour
casser une croissance exponentielle.
L'effet de ces mesures
ne sera pas immédiatement visible. Le nombre des nouveaux cas identifiés chaque
jour ne commencera pas à baisser avant le milieu de la semaine du 23 mars ; le
nombre de décès quotidiens, vers la fin de la même semaine. Il ne serait pas
étonnant que la France enregistre, au maximum de la courbe, plus de 300 décès
par jour du fait du SARS-Cov-2. L'Italie
aura alors entamé la décroissance, si bien que la France sera probablement le
premier pays du monde en nombre de victimes par jour. (Du moins officiellement
: les statistiques iraniennes sont presque certainement falsifiées et c'est ce
pays, non l'Italie comme le disent les statistiques officielles, qui détient en
réalité le record des nouvelles contaminations et des décès).
La courbe des décès
a, sur celle des contaminations, l'avantage d'être fiable en France. Chacun est
désormais parfaitement conscient que le nombre réel des contaminations est
supérieur au nombre recensé, d'un facteur probablement situé quelque part entre
10 et 100. Non pas que le gouvernement mente – il fait ce qu'il peut – mais
parce qu'il n'y a tout simplement pas assez de tests disponibles.
La courbe du Coronavirus en France
: une exponentielle presque parfaite
Pour résumer, voilà
quelle est la situation ce matin du 16 mars :
La France a
officiellement 5 423 résidents contaminés par le virus. La vérité est située quelque
part entre 50.000 et 500.000. La très grande majorité des personnes contaminées
ne souffre que de symptômes légers, voire pas de symptômes
du tout. C'est notamment le cas, sans que personne ne sache encore
pourquoi, de la quasi-totalité des enfants qui ont attrapé le virus.
127 personnes sont
mortes. A quelques erreurs possibles près, ce chiffre
correspond à la réalité. S'il est exact que la grande majorité
des décès concerne des personnes âgées ou déjà malades, il y a des exceptions :
des adultes encore jeunes et en bonne santé périssent aussi, même si c'est plus
rare.
Le nombre quotidien
de nouvelles contaminations et de nouveaux morts va mécaniquement augmenter
pendant plus d'une semaine – environ 10 jours pour le premier et 13 pour le
dernier. Puis, les courbes repartiront à la baisse, pour aller vers une
disparition totale de l'épidémie quelques semaines ou quelques mois plus tard. Personne
ne peut aujourd'hui prédire avec certitude quel sera le rythme de la
décroissance.
Enfin, pour faire
face à cette situation, le gouvernement français s'apprête à mettre en place
des mesures exceptionnelles telles que la France n'en a connues qu'en temps de
guerre, y compris la possibilité d'un couvre-feu et d'une administration
partiellement militaire du pays.
Le nombre des morts
est aggravé par un phénomène sur lequel tous les observateurs sont d'accord :
la France n'est pas prête à affronter l'épidémie. Le Covid-19
n'a, pour l'instant, ni traitement ni vaccin. Baisser le
taux de mortalité exige donc avant tout deux choses. D'abord, limiter les
contaminations, non seulement en changeant les comportements, mais en disposant
de produit désinfectant, de masques et de gants. Ensuite, fournir de l'oxygène aux
cas les plus atteints, seul moyen d'augmenter leurs chances de survie en
l'absence de traitement.
Or, ces moyens
n'existent tout simplement pas. Il n'y a pas assez de masques, pas assez de
gants, pas assez de produits désinfectants, pas assez de respirateurs.
Pas assez de médecins et d'infirmières non plus d'ailleurs.
On détourne pour la lutte contre le Coronavirus des personnels
d'autres services : à la fin de la crise, il faudra ajouter au nombre des
victimes du virus celui de ceux qui n'auront pas été traités à temps pour
d'autres pathologies.
Faute des équipements
suffisants, le nombre total des victimes sera supérieur à ce qu'il aurait dû
être. La question politique se posera alors inévitablement : y a-t-il une
responsabilité du gouvernement dans cette surmortalité ?
La réponse à cette
question n'est pas simple. Le gouvernement n'est pas responsable du
déclenchement de l'épidémie. Il met désormais en place des moyens exceptionnels
– tels que la France ne les a jamais vus en temps de paix – pour freiner sa
progression. On n'est pas en France dans la situation de l'Iran, qui a d'abord
nié la maladie et même encouragé les infections (en appelant au pèlerinage
après le déclenchement de l'épidémie), puis systématiquement menti sur les
chiffres.
Et pourtant, il y a
bien une responsabilité de l'Etat français dans deux aspects de l'évolution de
l'épidémie. Le premier de ces aspects concerne tous les gouvernements
précédents ; le second est une accusation de
l’équipe en place, mais il est probable que ses prédécesseurs
n'auraient pas fait mieux.
La première faute des
gouvernements français successifs a été budgétaire. La France est un pays riche
et détient le record des dépenses publiques parmi les économies importantes. Les
ressources étaient donc largement disponibles pour mettre en place un stock
stratégique suffisant de gants, produits désinfectants, masques et appareils
respiratoires pour faire face à une épidémie. Personne ne pouvait savoir que le
Covid-19 se déclencherait fin 2019, mais tout
le monde savait qu'il y aurait, un jour, une pandémie d'une maladie
respiratoire.
Mais, dans
l'attribution des gigantesques dépenses publiques françaises, la préparation
des situations d'urgence – sanitaires, de défense ou autres – n'est qu'un
objectif parmi d'autres. Elle passe bien après les objectifs de redistribution,
et plus particulièrement de redistribution aux inactifs : allocations sociales,
chômeurs, pré-retraités, fonctionnaires en surnombre (3 millions de
fonctionnaires de plus que l'Allemagne), accueil des migrants, etc. Le poids de
la redistribution a, avec le temps, étouffé toutes les autres dépenses. Sur 1 000
euros distribués par l'Etat, 575 le
sont en dépenses sociales. Le résultat est qu'alors que la dépense publique
représente environ 55% de la richesse créée en France contre environ 40% il y a
50 ans, la qualité des services publics n'a pas sérieusement augmenté ; et
beaucoup de Français ont le sentiment qu'elle s'est dégradée.
La deuxième faute du
gouvernement – du gouvernement en place, pour le coup – est d'avoir refusé
pendant plusieurs jours cruciaux d'écouter les statisticiens et les épidémiologistes
qui, en voyant le début de la courbe des infections, avaient annoncé dans le
détail ce qui allait arriver. Le 8 mars, le président Macron incitait encore
les Français à sortir et aller au théâtre. Le 12 mars, le ministre de l'Education
Nationale refusait la fermeture généralisée des écoles. A ce jour encore, la
fermeture des frontières françaises – une mesure adoptée par l'Italie,
l'Espagne et l'Allemagne – est refusée par principe.
Erreurs temporaires,
de quelques jours, pourra-t-on dire. Mais cela n'est pas une explication
suffisante, car au moment où elles étaient commises, la situation était
parfaitement prévisible par les experts. Et dans une épidémie au développement
si rapide, chaque jour compte pour limiter les contaminations et les décès.
Plus on regarde le
déroulement des événements, plus il semble que le pouvoir français ait été
victime de deux désordres collectifs de la personnalité auxquels la société
française est volontiers sujette et auxquels les
gouvernements précédents avaient, eux aussi, souvent succombé : le narcissisme
et le fétichisme idéologique.
Le narcissisme est un
dérèglement qui consiste à penser que l'on est un cas particulier, unique,
auquel les règles générales ne sont pas applicables. Les individus peuvent en
être atteints, mais aussi les peuples. La France,
en l'espèce, a voulu croire que ce qui arrivait aux Chinois, puis aux Italiens,
ne pouvait pas lui arriver – sans autre raison que parce qu'elle était la France.
Des Parisiens au marché hier
dimanche : comme si la réalité ne pouvait pas les atteindre
Le fétichisme
idéologique consiste à analyser une action ou une politique, non par leurs
conséquences concrètes, mais à travers le prisme de l'idéologie qu'elles
pourraient illustrer ou encourager. Si la France avait fermé ses frontières,
moins de Chinois et d'Italiens infectés l'auraient visitée avant la
généralisation de l'épidémie et il y aurait aujourd'hui moins de malades et
moins de morts. Mais fermer les frontières aurait paru nationaliste et c'était
ce que demandait le Rassemblement National. Il
fallait donc s'y opposer, sans prendre en considération les conséquences
concrètes de ce refus.
Aujourd'hui, les
conséquences sont là. La France s'apprête à connaître une crise majeure, la
plus importante de son histoire en temps de paix. Les libertés vont être
réduites dans des proportions qu'aucun Français de moins de 80 ans n'a jamais
connues. Une économie dirigée et en partie militarisée sera mise en place pour
quelques semaines ou quelques mois. Face au désastre financier et économique,
la France et l'Europe mettront en place des mesures tout aussi exceptionnelles
de soutien, qui n'empêcheront pas une sévère récession.
Quand tout cela sera
fini, que la maladie aura disparu et que l'Etat habituel des droits et libertés
aura été rétabli, qu'en restera-t-il ? Si le traumatisme a été suffisamment
important, peut-être un peu de méfiance face aux tendances nationales au
narcissisme et au fétichisme idéologique ; peut-être aussi des priorités plus
saines dans les dépenses publiques, pour faire moins de poids à la
redistribution et davantage à la préparation des crises. Un gouvernement plus
réaliste, moins attaché aux symboles et plus aux conséquences concrètes de ses
décisions, plus soucieux aussi de préparer l'avenir, finira peut-être par parvenir
au pouvoir. Encore faudra-t-il pour cela que les Français souhaitent, cette
fois, tirer les conséquences de leurs échecs passés – et ne se contentent pas,
comme ceux que je voyais hier dimanche se mêler les uns aux autres comme si de
rien n'était, de hausser les épaules en répétant qu'en France, ce n'est jamais
comme ailleurs. Les règles qui s'appliquent à tous valent pour nous aussi – y
compris celle qui veut que la réalité finisse toujours par
écraser ceux qui la nient.
"Monsieur Sami El Soudi, par P Vallois", Je
consulte ce site depuis longtemps et je vois qu'il n'est pas trop
vivace. Cela n'a guère d'importance. Les articles suffisent.
Sauf,
à mes yeux, sur un point. C'est qu'il semble qu'aucun lecteur n'ait
pris soin de vous marquer toute la considération, la haute estime, que
dis-je, le bonheur que l'on éprouve à lire vos textes.
Vous êtes, je crois, la personne au monde qui fait le mieux comprendre ce qui se passe au Proche et Moyen-Orient.
Vos papiers depuis 2003 sont incomparables. Ils méritent d'être réunis et publiés. A tout le moins.
Merci infiniment."
Système préférentiel de
paiement de l'abonnement :
par carte bancaire, auprès de la Royal Bank of Scotland, hautement sécurisé, en français, pour accéder presser [ici]
Nouveau:
En envoyant un email à info@metulanews.info indiquant s'il s'agit
d'un nouvel abonnement ou d'un renouvellement, en mentionnant
impérativement tous les détails suivants :
A. Le type d'abonnement choisi (consulter la liste des différentes options à la page http://www.menapress.org/sub/subscribe.html).
B. Votre type de carte (Visa, Diners, Master Card etc.)
C. Le numéro de votre carte.
D. Le nom du détenteur de la carte tel que figurant sur celle-ci.
E. La date d'échéance de la carte (mois, année).
F. Le numéro de sécurité : les 3 derniers chiffres apparaissant au dos de la carte.
G. Votre adresse physique.
Nous vous enverrons une confirmation de la transaction et détruirons
consciencieusement les informations que vous nous aurez transmises
immédiatement ensuite.
Les avantages de l'abonnement :
Recevoir les dépêches par E-mail dès qu'elles sont publiées par la Ména
Accéder à toutes les rubriques de ce site
Accéder à tous les articles
Accéder au forum
Lire l'article tel que son auteur l'a écrit
Obtenir le droit d'envoyer les articles à ses amis