Par Stéphane Juffa
Le Premier ministre Binyamin Netanyahu a sorti en cette fin
de semaine un nouveau lapin de son chapeau en se déclarant victime d'appels au
meurtre contre sa personne et sa famille. Il s'est plaint aussi en d'autres
occasions de ce que les media ne réagissaient pas à ces incitations à l'assassiner
et qu'ils accordaient une couverture exagérée aux manifestations qui s'intensifient
face à son domicile officiel de la rue Balfour à Jérusalem et sa résidence
privée de Césarée.
Ce vendredi (hier), le Premier ministre Benjamin Netanyahu
a publié une vidéo sur ses comptes Facebook, Twitter et Instagram, qui, selon
lui, montrent des incitations à l'assassiner lors des récentes manifestations.
Le clip s'intitule : "L'incitation au meurtre du
Premier ministre Benjamin Netanyahu et de sa famille bat des records".
https://www.facebook.com/Netanyahu/videos/574371223245994/
Commentaire de M. Netanyahu sur le clip : "Chaque
révélation d'incitation et de haine terribles lors des manifestations de gauche
et des appels au meurtre ne m'empêchera pas d'agir dans votre intérêt et celui de
notre pays".
C'est "courageux" mais c'est... un montage
mensonger. Personne n'appelle lors de ces manifestations désormais quotidiennes
à tuer le Premier ministre.
La pièce principale de ce clip sur les appels au meurtre
avait été dévoilée mercredi par le chef de l'exécutif sur Tweeter. Il s'agissait
d'un commentaire d'une certaine Dana Ron sur Facebook. Celle-ci écrivait :
"Bibi, il faut s'en débarrasser uniquement par la force... On n'écarte les
dictateurs qu'avec une balle dans la tête".
Le faux commentaire sur
Facebook
Le post nous avait d'emblée paru louche parce que certains
mots comportent des voyelles. Or en hébreu moderne, les voyelles sont
implicites et aucun Israélien n'en utilisera dans son expression écrite. Très
rapidement, Facebook découvrit qu'il s'agissait d'un faux profil et la
plateforme l'a supprimé.
Sur son tweet, Netanyahu dénonce également un homme qui l'a
menacé, lui et sa femme, et qui a été découvert en possession d'un pistolet en
plastique et de deux lames de rasoir. Après une courte vérification, la police
a découvert que l'individu était un cas psychiatrique et qu'avec son "arsenal",
il n'aurait pas été capable de faire de mal à un escargot.
Les autres images de la vidéo sont des montages, des
doublages et des brefs passages de discours qui n'ont rien à voir avec l'incitation
au meurtre, la plupart n'ayant rien à voir non plus avec les manifestations
actuelles.
Pourtant M. Netanyahu s'y
connaît en matière d'incitation au meurtre
On le voit ici à la tête d'une
manifestations présentant un cercueil fictif d'Itzkhak Rabin
On connait la suite
Samedi dernier, nous avions envoyé Ilan Tsadik à la
manifestation de Jérusalem afin de s'imprégner de ce qu'il s'y passait. Nous
avons, de plus, interviewé une dizaine de participants pour nous assurer que
leurs témoignages à tous concordaient.
La semaine dernière à Jérusalem, ils étaient six mille, et
ils n'étaient pas venus faire de la figuration. Chacun avait son mot à dire, sa
danse à proposer, une musique à interpréter, des seins à exhiber, un
déguisement à montrer, et des pancartes inéquivoques. Celles-ci disaient "Non
à la corruption", "Fric, pouvoir, monde du crime", "Corrompu,
il y en a marre", ou, plus simplement, "Démissionne !", quand ce
n'était pas "Lekh !", "tire-toi !". Mais aussi "Grand-père,
excuse-nous pour ce que nous avons fait du pays", ou "Maman, je suis
ici pour te défendre".
Mais strictement aucun appel au meurtre. Au contraire, l'un
des slogans maintes fois repris par la foule est : "Lo la-alimoute",
non à la violence. Et ce mot d'ordre est illustré à chacune des manifestations
par des musiciens classiques, des chanteurs de variétés, des jazz-bands, des
ateliers de méditation au cœur du rassemblement, et des mères de familles venues
exiger de la police qu'elle s'abstienne de recourir à la violence contre les
jeunes.
Certains manifestants ont
des façons plus originales de dialoguer avec la police
Hier (vendredi) des chanteurs professionnels ont interprété
à cappella le Chœur des esclaves de Nabucco de Verdi. Sur la place de Paris,
surplombant la vieille ville c'était somptueux.
On comprend dès lors pourquoi ces dangereux trublions, que
Netanyahu appelle régulièrement des gauchistes et des anarchistes, ne l'empêcheront
pas de travailler. Quoique...
Ci-après, sur la vidéo, la militante Eliane
Set Lezmy expliquant leurs obligations légales en matière
de canons à eau aux
policiers désemparés :
https://www.facebook.com/elianesetbon.lezmy/videos/10223033075878410/?t=8
La difficulté de M. Netanyahu vient de ce qu'ils sont de
plus en plus nombreux. Auparavant, ils se contentaient de manifester les
weekends, désormais, c'est tous les jours.
Il règne dans l'atmosphère une triple odeur, celle du
chaos, certes, le pays est désemparé par cette révolte, les caramboles de
Netanyahu, la situation sur la frontière-nord et la recrudescence du
Coronavirus, celle d'une fin de règne, et celle de l'espoir de vivre autrement.
Car la voix de ces jeunes porte. De nombreuses chaînes TV et Internet proposent
la retransmission de ces rassemblements en direct, avec des journalistes qui se
mêlent à la multitude pour questionner des manifestants sur leurs motivations.
Dans une autre publication sur Facebook - c'est une grave
erreur tactique de passer autant de temps à sur-réagir sur les réseaux sociaux,
Netanyahu devrait laisser la tâche de le défendre à d'autres - le Premier
ministre a accusé la chaîne TV Aroutz 12 News d'avoir gonflé le nombre de
participants aux manifestations contre lui dans ses reportages, la qualifiant
de "bras de propagande sans vergogne de la gauche anarchiste pour faire
tomber le gouvernement de droite et son chef". Il a poursuivi en écrivant
que la chaîne "allume le feu sur les flammes des manifestations politiques
organisées et financées par des groupes de gauche. Ce sont de fausses nouvelles
gonflées aux stéroïdes". Il a continué : "Presque tous leurs
programmes, segments et analyses sont utilisés pour une propagande bolchevique
effrénée contre le Premier ministre".
Bolchévique, la 12 ? C'est comme qualifier Tf1 de
bolchévique effrénée... Netanyahu réagit de façon épidermique. Il multiplie les
décisions arbitraires - comme celle de publier ce clip vidéo et de se faire
passer pour une victime en danger de mort - basées sur l'exercice de la
violence politique et de la menace. C'est le signe qu'il est ébranlé, je dirais
quasiment K.O debout. C'est un peu normal avec tous les uppercuts qu'il prend.
Netanyahu ne fait plus de politique depuis longtemps, il se
contente de tenter des coups. Pour créer sans cesse des tourbillons, car il ne
sait plus comment éviter la poursuite de ses procès en janvier et l'éventualité
d'être envoyé en prison. C'est cela qui le rend hystérique. Qui l'obnubile.
Des décisions à l'emporte-pièce, des coups, à l'instar de
celui qui concernait l'annexion d'une partie de la Cisjordanie. Modifier les
frontières d'un pays, c'est quelque chose de sérieux, une décision qui ne se
prend pas à la légère. Qui implique souvent un référendum. Une mesure comme
celle-là se prépare plusieurs années à l'avance, notamment en consultant ses
alliés à l'international et ses responsables de la défense. A part dans une
république bananière, un dirigeant ne va pas lancer un projet comme celui-là en
quelques jours, et lui attribuer une date d'exécution, sans s'assurer qu'il
sera en mesure de l'appliquer.
C'est pourtant exactement ce qu'il s'est passé. Le premier
juillet dernier, nous étions censés annexer une partie de la Judée-Samarie,
mais il ne s'est rien passé. Nous nous sommes mis la quasi-totalité des Etats amis
à dos, nous avons fragilisé nos relations naissantes avec nos voisins arabes,
l'opinion israélienne s'est scindée une fois de plus pour un projet dont plus
personne ne parlait le... 2 juillet. Pour l'abandon duquel aucune explication n'a
été donnée, et j'écris bien aucune. Le coup de l'annexion a échoué, passons à autre
chose !
Arik Sharon disait de lui que Bibi ne sait pas poser une
réflexion sereine (trop d'empressement, de fébrilité) sous la pression, et qu'il
ne résiste pas aux situations de stress.
L'annexion était un autre tour de passe-passe démagogique
de M. Netanyahu. Son but était de fidéliser les partis religieux et ceux d'extrême
droite. Les leaders de ceux-ci avaient bien compris que le chef du gouvernement
cherchait une issue de dégagement pour éviter la justice, mais cela ne les
dérangeait pas plus que cela tant que cela servait leurs priorités
idéologiques. Ils étaient disposés à voter à la Knesset la "Loi
française", celle taillée sur mesures pour le président Chirac, qui aurait
garanti l'immunité juridique à M. Netanyahu tant qu'il était aux manettes de
l'Etat. Ensuite, comme l'a fait M. Chirac, il aurait avisé...
Reste que cette volte-face a été très mal digérée à droite,
où Eretz Israël ha-Shlema [le grand Israël] n'est pas un slogan publicitaire
mais un objectif majeur. A l'image du leader de Yémina [héb. : "droite"],
Naftali Bennett, qui soutenait jusqu'à maintenant le Premier ministre en dépit
des affronts répétés qu'il lui infligeait.
Les choses sont en train de changer. D'une part, parce que
l'on rencontre une multitude de partisans de Yémina dans les manifestations (de
religieux aussi, contrairement à l'image que les bibistes tentent d'imposer,
elles ne sont pas du tout l'apanage de la gauche). De l'autre, parce que
Bennett se lâche. Il a récemment déclaré : "Nous aurions pu éviter la
terrible crise économique qui a frappé les citoyens israéliens...
Malheureusement, probablement parce que Netanyahu craignait que Bennett réussisse
trop bien, rien de tout cela ne s'est produit. C'est un fiasco de l'ampleur de
la Guerre de Kippour". Et aussi : "Netanyahu est responsable de l'un
des plus grands échecs de l'histoire d'Israël, il a choisi son petit ego plutôt
que le bien du pays, maintenant il doit rentrer chez lui".
Les problèmes de Binyamin Netanyahu s'amoncellent. Les
partis religieux ont eux aussi décidé de prendre leur liberté relativement à la
disciple de la coalition. La faute à une proposition de loi visant à interdire la
"thérapie de conversion" pour les personnes LGBT. La coalition, y
compris le Likoud, s'est morcelée au moment de voter. Pour les religieux, l'homosexualité
est une pathologie, et des rabbins proposent des thérapies pour les homos afin
de les ramener dans l'hétérosexualité. Pour la plupart des autres députés,
incluant tous ceux de Gantz, ces thérapies constituent évidemment une
foutaise contre-nature, souvent très musclées, qu'il y a lieu de mettre hors la
loi. Il y a incompatibilité entre les laïcs et les orthodoxes, comme sur la
plupart des sujets quand une coalition est basée sur des intérêts à court terme
et non sur une réelle proximité de points de vue. Binyamin Netanyahu lui-même s'était
absenté au moment du vote, comme beaucoup d'autres représentants du Likoud.
Réaction du chef aux abois : il a chargé l'un de ses
deux dobermans, Mickey Zohar, le responsable de la coalition, de se ruer sur
les députés récalcitrants. Manque de bol, l'autre chien de garde est Amir
Ohana, le ministre de l'Intérieur. Likoud ou pas Likoud, Ohana est un
homosexuel déclaré qui ne pouvait pas faire autrement que voter en faveur de la
loi.
Mickey Zohar a décerné des punitions aux mauvais élèves,
avec l'approbation ouverte du Premier ministre. Les sanctions comprennent l'interdiction
de soumettre des projets de loi jusqu'à la fin de cette session de la Knesset
en août. Elles concernent les membres du cabinet Yoav Gallant, Yisrael Katz,
Amir Ohana, Eli Cohen, Ofir Akunis et les députés Shasha-Biton, Shlomo Karhi,
Keren Barak, Sharren Haskel, Avi Dichter, Michal Shir Segman et Uzi Dayan.
Vingt-et-un des trente-six députés du Likoud s'étaient
absentés lors du vote. Treize ont signé une pétition exigeant la démission de
Mickey Zohar. Du jamais vu sous Netanyahu, de l'inconcevable jusqu'à
maintenant, et qui n'est rendu possible que par la situation de détresse dans
laquelle se trouve le Premier ministre. Cette pétition est une manière de s'opposer
indirectement au chef de l'exécutif, et même, pour certains, de menacer ouvertement
de le lâcher.
Il est vrai qu'envoyer au coin avec un bonnet d'âne des
poids lourds du parti comme le ministre des Finances Yisrael Katz ne participe
pas forcément d'une décision habile. Particulièrement en pleine crise
économique d'une ampleur jamais traversée par l'Etat hébreu. Imaginer que des
personnalités comme Katz vont baisser la tête en promettant qu'elles ne
recommenceront plus à fronder constitue un pari douteux. D'ailleurs la femme d'Yisrael
Katz vient d'assigner Mickey Zohar en justice pour l'avoir diffamée lors d'une
dispute houleuse avec son mari en commission parlementaire. Sinon les insultes
pleuvent et elles ne sont pas mouchetées : les députés du Likoud s'entre-déchirent
sur les réseaux sociaux tels des chiffonniers. Par exemple, le député Shlomo
Karhi y décrit Mickey Zohar comme "un menteur qui se conduit comme une
brute".
Autre maladresse de taille, Netanyahu a fait limoger Yfat Shasha-Biton
de son poste de présidente de la commission en charge du Coronavirus il y a 13
jours. Elle a fait valoir qu'il n'y avait pas suffisamment de données sur
l'incidence des infections dans les piscines publiques et les gymnases et a
exclu ces sites de la liste des établissements dont le cabinet venait d'ordonner
la fermeture. A la fin de la réunion du comité, Zohar lui a crié: "Vous avez terminé votre carrière au Likoud ! Nous
allons vous remplacer".
Or Madame Shasha-Biton, qui est née à Kiryat Shmona, est largement
respectée pour son implication dans l'éducation et c'est l'une des figures les
plus populaires du Likoud. Elle non plus ne s'est pas pliée au verdict de M.
Netanyahu, déclarant après son limogeage : "La décision du Premier
ministre vise à empêcher les débats et les discussions sérieuses, à éviter
d'écouter le public et à empêcher l'expression d'autres opinions".
Lorsque l'on se retrouve sur le banc des accusés lors d'un
procès au pénal, ce n'est pas en qualité de chef d'une tendance politique ou de
Premier ministre, c'est parce vous êtes accusé à titre personnel et à votre
seul profit d'avoir volé, escroqué ou induit un acte criminel. Cela signifie
que vous êtes seul pour répondre de vos actes.
De plus, en infligeant des punitions collectives aux cadres
de votre propre parti et en humiliant une femme belle et cultivée comme Yfat Shasha-Biton,
vous pouvez peut-être conserver pour le moment votre emprise sur les
politiciens, mais vous n'allez pas vous attirer leur empathie. Cela explique qu'hormis
les deux dobermans, des députés de troisième ordre, on n'entend ces jours pratiquement
aucun message de soutien émanant de la Knesset et de votre propre parti.
C'est là, sans l'ombre d'un doute sensé, le plus gros
problème de Binyamin Netanyahu pour faire face à la révolte populaire : sa
désespérante solitude. Il est encore un peu craint - de moins en moins - mais il
n'est assurément pas aimé. Il est même détesté jusqu'au cœur du Likoud, où la
plus grande partie de ses soutiens politiques n'attendent en fait que le moment
opportun de le jeter aux gémonies. Cela explique entre autres la raison pour
laquelle il en est réduit à se défendre par lui-même sur les réseaux sociaux,
en balançant des posts plus extrémistes et plus éloignés de la réalité les uns
que les autres.
Cela impacte forcément la tactique que Netanyahu avait
prévue afin d'échapper à la reprise de son procès. Au début, il s'était réjoui
de la descente dans la rue de ses opposants. Il prévoyait que ses partisans
leur feraient face par dizaines de milliers, que cela dégénérerait en un immense
désordre, voire à une guerre civile, et que le gouvernement serait contraint de
décréter l'état d'urgence et de repousser certaines procédures démocratiques,
comme l'exercice de la justice, aux calendes grecques. Et tant pis pour la
pérennité d'Israël, l'objectif de Bibi n'est pas de restaurer l'harmonie mais d'échapper
à la prison à n'importe quel prix.
Mais ses partisans ne suivent pas. C'est la raison qui l'a
fait lancer sa campagne bidon sur le thème "on incite à mon assassinat",
dans le but de se faire protéger par ses fans.
Cela ne fonctionne pas. Il n'y a pas de volontaires pour des
contre-manifestions. Il y a une semaines, sur la place de France et celle de
Paris, juste à côté de la résidence du Premier ministre, rue Balfour, ils
étaient neuf, Ilan les a comptés. Tous membres du clan le plus extrémiste de
supporters de football du pays, ceux qui sont interdits d'entrée dans la
plupart des stades ; ils se sont autobaptisés "La Familia" [avec
une faute d'orthographe, en italien, c'est la famiglia. Ndlr.], un autre nom de
la Mafia en Italie ; pour revendiquer leur recours permanent aux méthodes de
gangsters.
Ils ne prônent pas quant à eux "non à la violence",
ils la cultivent en fendant la foule armés de bouteilles de verre et de sprays
de gaz au poivre pour agresser les manifestants. En milieu de semaine, à la
gare de Jérusalem, ils étaient une cinquantaine à courir en scandant "les
journalistes sont tous des nazis, ne leur parlez pas !", frappant
plusieurs confrères et harcelant des passants supposément anti-bibistes. La
police en a arrêté une quinzaine.
La violence ne remplace pas le nombre, et ce ne sont pas
les casseurs de La Familia qui vont déclencher la guerre civile espérée par l'inculpé
de Balfour. Il y a dix fois plus de Likoudniks tendance Bégin du côté de la
révolte que parmi ces voyous.
L'étau se resserre autour de Netanyahu, janvier approche et
il est à court d'idées pour éviter la reprise de ses procès. Récemment, il a
pratiquement décrété de nouvelles élections pour le 18 novembre prochain. La
presse main stream les a annoncées. Puis il a changé d'avis, momentanément du
moins, les décisions et les décisions contradictoires se suivent à la résidence
Balfour : d'abord on lance des annonces et ensuite on les examine. Or les
sondages indiquent que le Likoud est en chute libre dans les intentions de
vote, il aurait déjà perdu plus du quart de ses électeurs, bien loin des 36
députés (sur 120) dont il dispose actuellement à la Knesset. Et la tendance s'amplifie
chaque semaine, au rythme des manifestations et des disputes entre les députés
et les partis de la coalition.
L'idée de convoquer des élections en novembre vise à
obtenir une majorité de bloc sans avoir à inclure les rescapés de Gantz de
Kakhol-Lavan dans ladite coalition. En espérant faire voter in extrémis la Loi
française, même si cela devait être au prix d'une quatrième convocation des Israéliens
aux urnes en un an, au prix de milliards d'euros, en pleine crise sanitaire et
économique, et à celui de briser l'accord de gouvernance longuement négocié avec
Gantz et Gabi Ashkenazi.
Qu'à cela ne tienne, si cela peut éviter la prison à l'intéressé,
la fin justifie les moyens, tous les moyens. Le hic est qu'au rythme où va la
perte de popularité du Likoud, Bibi n'est plus sûr du tout de remporter d'éventuelles
élections, elles pourraient même conduire à sa Bérézina. Et il a cette réalité
en tête : un seul vote de destitution à la Knesset et il serait au tapis
pour le compte. Pour le moment, des élections en novembre, c'est un pari trop risqué.
Il y reviendra peut-être si tous les autres filons échouent.
C'est aussi une faiblesse dans le jeu de Netanyahu : après
trois élections, il n'a pas obtenu de majorité parlementaire au seul décompte
des députés élus. Le slogan des bibistes selon lequel il aurait été "porté
au pouvoir" ne reflète pas la réalité, c'est là que le bât blesse aussi. Parce
que Netanyahu n'a pas été choisi pour gouverner ce pays. Par trois fois il a
tenté d'obtenir une majorité de gouvernance à la Knesset, par trois fois, les
électeurs la lui ont refusée.
Netanyahu n'a pas été "porté au pouvoir",
puisqu'une majorité d'Israéliens, par trois fois, ont choisi un plus grand
nombre de députés qui s'opposaient à son investiture. C'est l'une des
contre-vérités dans son discours et qui ne deviendra pas réalité même s'il la
répète un millier de fois.
Certes, sa nomination au poste de co-Premier ministre
respecte nos lois, c'est ce que la Cour suprême a confirmé, c'est la vérité. Si
cela n'était pas le cas, on m'aurait déjà vu avec un fusil dans la rue. Mais la
démocratie et le respect de l'Etat de droit ne se limitent pas au fait que
quelqu'un ait légalement accédé - pour un an et demi, pas quatre ans ! - à la
fonction de chef de l'exécutif.
Il y a le reste, tout le reste de ses actes que j'ai
mentionnés plus haut au terme d'un résumé minimaliste. Poutine et Erdogan aussi
ont accédé au pouvoir selon les lois de leurs pays, mais cela n'en fait pas des
hommes d'Etat démocratiques. Il y a des chefs de gouvernements qui agissent
afin de faire prévaloir les institutions de l'Etat de droit, et d'autres qui
les caricaturent et qui réduisent chaque jour d'avantage le rôle du Parlement
et celui des instances de contrôle et de justice. Ceux-là sont des ennemis de
la démocratie, quelle que soit la légitimité de la position qu'ils occupent. Et
c'est le cas de Netanyahu.
Pour ne rien arranger à ses affaires, les opposants
politiques ne sont plus les seuls à donner de la voix : un actif sur quatre en
Israël se trouve au chômage dû au Coronavirus. La plupart d'entre eux savent
qu'ils ne retrouveront pas de travail de sitôt, ils s'endettent sans entrevoir
le bout du tunnel et l'anxiété les gagne.
Beaucoup de ces chômeurs avaient voté Likoud aux dernières
élections. Ils voyaient dans son leader l'homme providentiel, celui que rien ne
bouscule, celui qui ne les laisserait pas tomber. Mais si la gestion de la
seconde vague de la pandémie laisse à désirer, celle de la crise est quant à elle
totalement désordonnée et démagogique elle aussi.
A l'image de cette énième décision de Bibi de remettre 700
shekels à chaque Israélien [180 euros] quels que soient ses revenus, pour un
coût d'un milliard et demi d'euros au trésor public. Le grand argentier Yisrael
Katz, pourtant lui aussi membre du Likoud, n'avait pas été consulté. Il ne voit
pas l'avantage de ce projet, comme la plupart des économistes du pays. Il s'agit
uniquement pour Netanyahu de tenter de rétablir son soutien populaire. Ils
pensent que c'est beaucoup d'argent dépensé inutilement, car ce ne sont pas 180
euros qui vont changer quoi que ce soit dans le budget d'une famille endettée
et privée de travail.
Le nombre des faillites a déjà augmenté de 75 pour cent
depuis juin, et cela donne une image précise de la situation économique que
nous traversons.
Ce million d'Israéliens pris d'angoisse n'ont certes pas
manqué l'épisode récent lors duquel M. Netanyahu a réclamé aux députés et
obtenu de leur part qu'ils l'exonèrent du paiement d'environ un million de
shekels d'impôts [255 000 euros] ; un vote sur une question privée à la Knesset
pour annuler le paiement d'impôts en faveur de M. Netanyahu qui est
multimillionnaire en euros, et qui était débiteur de ces sommes - qui ne lui
ont pas été réclamées par erreur, cela n'a pas été invoqué - voilà qui a
refroidi ces chômeurs qui cherchent désespérément à assurer le gite et le
couvert à leur enfants pour les mois à venir. En plein crise de Coronavirus, de
qui s'occupe celui qui est censé trouver une solution à leurs besoins primaires
? Il y a beaucoup d'électeurs du Likoud issus de la classe moyenne qui
cherchent ces jours de la nourriture dans les fonds de poubelles.
On vient de le constater quelques lignes plus haut, c'est
un mensonge de prétendre que les manifestants ne représentent qu'une portion
marginale "gauchiste-anarchiste" de l'électorat. En fait, et sur la
base des trois dernières consultations électorales convoquées par Netanyahu, ils
reflètent les sensibilités d'un nombre égal ou supérieur d'Israéliens à celui
qui a qui a voté pour le Likoud et les autres partis de la coalition. Si leurs
représentants ne sont pas aux commandes de l'Etat, c'est uniquement parce qu'ils
ne sont pas parvenus à s'entendre et à gouverner ensemble, non pas parce que
Bibi aurait reporté ces scrutins. Cela dresse un tableau très différents des
forces en présence que celui que dépeint Netanyahu. Le fait, élection après
élection, de ne pas pouvoir dégager une coalition homogène de gouvernance fragilise
le Premier ministre et le soutien des partis de son alliance. Les
manifestations, dans cet état de match nul, prennent dès lors une dimension de
tie break dont ceux qui y participent sont parfaitement conscients.
Ils sont par ailleurs très au fait des réalités politiques.
Comme au sujet de cette antienne dont on m'affuble parfois, de même que les
partisans de la révolte, et dont j'ai été la cible des dizaines de fois, selon
laquelle tout ce que j'écris, tout ce que nous faisons nous est dicté par la
haine de Netanyahu.
Mais les arguties ne résistent pas à l'analyse. La question
pivot de celle-ci étant : qui fait preuve de haine et qui résiste à la
haine ?
Or je te rappelle que ce n'est pas nous qui avons vendu des
sous-marins stratégiques contenant de la technologie israélienne à un pays, l'Egypte,
qui peut resombrer dans l'islamisme à n'importe quel moment. Netanyahu a pris
cette décision en contournant toutes les instances de décision d'un Etat
démocratique ; sans en informer le ministre de la Défense, le chef de l'Armée
ni celui du Renseignement. Il a fait en sorte que mille Allemands et mille Egyptiens
étaient au courant de la transaction tandis que Tsahal l'ignorait. Cela ne
s'appelle pas de la haine mais un crime de haute-trahison. Et il faut bien que
ceux qui peuvent le dénoncer le fassent.
On voit ainsi dans les manifestations beaucoup de dessins
et de maquettes de sous-marins arborant le drapeau égyptien, évoquant la vente
de ces sous-marins stratégiques au pays du delta du Nil par M. Netanyahu.
Netanyahu ne cesse non plus d'agresser toutes les institutions
de l'Etat d'Israël. Il accuse de façon constante la magistrature et M.
Mandelblit d'ourdir un coup d'Etat contre le gouvernement, la Cour suprême, les
journalistes, les juges et procureurs de ses procès, regardez la caricature
proposée cette semaine par son fils Yaïr de la représentante du ministère
public, - n'est-ce pas là que se situe
la haine et la négation de l'Etat de droit ? Depuis, le très actif Yaïr
Netanyahu a propagé les profils détaillés de certains meneurs de la révolte. La
police s'est saisie de l'affaire.
Le procureur Liat Ben-Ari
en déesse hindoue
L'Inde a protesté
Les gens ne comprennent pas pourquoi M. Mandelblit
s'occuperait, comme Bibi l'en accuse, de perpétrer un putsch visant à l'écarter
du pouvoir. Si le Procureur général avait des ambitions politiques, cela se
saurait ; s'il avait des relations privilégiées avec un acteur ou un mouvement
politiques, cela se saurait aussi.
L'accusation permanente visant M. Mandelblit est
grossièrement vide de contenu, et cela insupporte les manifestants que le chef
de l'exécutif la brandisse simplement pour répondre à sa mise en accusation
devant les tribunaux.
La haine est un sentiment émotionnel basé sur le vide, sur
une pulsion individuelle. Or moi, je suis républicain, et ma démarche est
construite et argumentée par des dizaines d'articles et des milliers d'heures
d'enquête. Elle n'est ni superficielle ni spontanée. Il en va de même de la
démarche des révoltés.
Ce que voudraient les derniers partisans de Bibi, c'est que
les personnes douées de conscience ferment les yeux, se taisent et autorisent
la décomposition de notre système de gouvernance. Parce qu'un pays sans
institutions cesse pratiquement d'exister. Si ce n'était pas une attente
pathétique, elle serait presque amusante.
Depuis près de deux ans, Netanyahu retourne chaque pierre,
chaque recours pour ne pas avoir à affronter ses juges. Et cela, ce sont des
faits qu'un enfant israélien de dix ans est capable d'énumérer. Et ce sont les
faits qui convainquent non les slogans populistes et les rumeurs creuses.
Nous nous situons clairement sur la défensive, nous protégeons
l'Etat de droit que Netanyahu met en grand péril. C'est un devoir, celui de
chaque Israélien doté de conscience..
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers...
Certaines images font
penser à des tableaux épiques d'Eugène Delacroix
Le moment est préoccupant. M. Netanyahu va désormais se
montrer de plus en plus violent au fur et à mesure qu'il perdra pied. Au fur et
à mesure que ses marins quitterons le navire et son capitaine. C'est à ce
moment que l'Etat de droit et la démocratie seront le plus en danger.
En attendant, ce soir (samedi) est prévue à Jérusalem la
plus grande manifestation depuis le début de la révolte. Israël retient son
souffle s'apprêtant à dénombrer les participants. Plus de vingt mille, et cela
précipiterait le déboulonnement de la statue du commandeur. Cinq mille ou
moins, et le commandeur pourrait trouver un second souffle, et inventer d'autres
mensonges pour essayer de rameuter des partisans. Cela ne changera cependant
rien à la réalité d'un processus qui s'est mis en mouvement : nous assistons
effectivement à une fin de règne, les dynamiques jouent clairement contre M.
Netanyahu. Il en est conscient mais il a grillé toutes ses échappatoires. Reste
la question cruciale : combien de temps durera encore son agonie politique
et que restera-t-il de l'Etat d'Israël lorsqu'elle s'achèvera ?
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